Mardi 16 juin débute, à Arles, un procès intenté par des travailleuses et travailleurs détaché·es marocain·es et espagnol·es contre l’entreprise espagnole de travail temporaire Laboral Terra et sept entreprises employeuses de main-d’œuvre en France. Ce procès doit permettre de mettre en lumière la question des travailleuses et travailleurs détachés.
En 2017, le ministère de l’Agriculture comptabilisait plus de 67 000 travailleuses et travailleurs détaché·es, embauché·es soit directement par les exploitations agricoles soit via des entreprises de travail temporaire. La loi stipule que les conditions d’embauches doivent être conformes à la législation du pays d’accueil (salaire minimum, temps de travail, congés payées, etc.). Or, la réalité est tout autre. En 2019 l’Inspection générale du travail en a fait une cible prioritaire dans la lutte contre les fraudes.
En témoigne ce procès d’Arles, qui fait suite à une plainte déposée en 2017 par des travailleuses et travailleurs détachés. Dénonçant des conditions de travail proches de l’esclavage, elles accusent les entreprises de « conditions de travail indignes, travail dissimulé et harcèlement moral et sexuel ». En effet, beaucoup de travailleuses et de travailleurs sont ballotté·es d’exploitations en exploitations, entassé·es dans des logements insalubres, et n’ont aucune prise sur leurs contrats et travaillent du matin au soir sans réelle pause.
Coronavirus et pénurie de main-d’œuvre étrangère
Le 24 mars, à la suite du discours martial de Macron sur la crise du Covid 19, le ministre de l’Agriculture faisait appel à une « armée de l’ombre » de volontaires prêts à remplacer les 200 000 travailleuses et travailleurs saisonniers étrangers bloqués par la crise, et habituellement embauché·es à cette période. Pas de prérequis nécessaires, juste « des bras » pour « nos assiettes », comme le titrait la plateforme Wizifarm, lancée par la FNSEA avec le soutien de Pôle emploi et du ministère pour recruter ces « volontaires ». Le ministère avait ensuite précisé que ces « volontaires » seraient payé·es, en plus du chômage partiel ou d’autres allocations déjà perçues.
La plupart des gens ayant répondu à l’appel étaient des salarié·es ou de petites et petits entrepreneurs en grande difficulté économique, mais un certain nombre étaient des réfugié·es, des demandeuses et demandeurs d’asile ou des sans-papiers. S’il est indéniable que toutes ces personnes ont absolument besoin de travailler pour sortir de la misère, ces mesures étaient une manière d’entériner l’exploitation de main-d’œuvre bon marché dans le secteur agricole. Alors que le reste de la France se confinait, l’État n’hésitait pas à proposer aux plus démuni·es d’aller bosser dans les champs, sans protection sanitaire particulière. De la chair à canon pour un État « en guerre ».
Beaucoup de demande, peu d’offre en réalité
Mais la grande opération a tourné court. Jusqu’à 280.000 personnes ont candidaté sur Wizifarm [1], mais l’offre d’emplois a, en contrepartie, été dérisoire. Au 14 juin, Wizifarm n’en proposait que… 408. Car les exigences des grandes exploitations agricoles sont précises : il ne suffit pas aux « volontaires » d’accepter des conditions de travail très dures (journées à rallonge, contrats saisonniers au rabais, travail physique répétitif et basse besogne, hébergement insalubre…), il faut aussi un savoir-faire, une connaissance des exploitations… des compétences en somme ! Nombre d’exploitations ont préféré laisser pourrir leurs fraises ou leurs asperges plutôt que de changer de système d’embauche [2].
À qui profite ce système ?
Pénurie de main-d’œuvre, mais pas d’offre d’embauche, perte de récoltes… Toutes ces aberrations sont la conséquence de l’agriculture industrialisée. Tout un pan de l’agriculture française répond aux critères de l’industrie, avec ses économies d’échelle et ses productions spécialisées impliquant des travaux répétitifs et nécessitant beaucoup de main d’œuvre saisonnière. Ces industries agricoles économisent sur la main-d’œuvre pour réduire leurs coûts et proposer des produits compétitifs sur le marché.
D’autres exploitations, moins industrielles, se verront tout aussi soumises à cette concurrence des prix et choisiront, pour tenter un équilibre économique fastidieux, d’avoir recours à cette main-d’œuvre bon marché. Une solution de facilité pour survivre dans une économie productiviste. Ce mécanisme est en réalité le pendant d’un système agricole soumis à la spéculation et au bon vouloir des investisseurs et des actionnaires.
D’autres solutions existent
Pour contrer cette logique capitaliste, garantir des revenus et des conditions de travail décents aux travailleuses et travailleurs de la terre, qu’ils soient paysans ou salarié·s, est une priorité. Cela passe par la lutte pour la récupération des terres usurpées par les industries de l’agriculture dans le monde, afin que les paysannes et paysans puissent produire une nourriture locale et de qualité, sans dépendre des marchés mondiaux. Limiter au maximum le salariat et donc l’exploitation de la force de travail d’autrui ne pourra se faire que par l’installation massive de paysannes et de paysans sur de petites unités productives, et par la garantie de leurs revenus à travers des produits vendus au prix juste. Prix justes accessibles au plus grand nombre… en somme l’abolition du capitalisme !
Groupe de travail Agriculture de l’UCL
Illustration : peinture de Cynthia Vidal
Pour aller plus loin :
- Collectif de défense des travailleurs étrangers dans l’agriculture (Codetras), « Combattre l’exploitation de la main-d’œuvre dans l’agriculture : rompre le silence », Mars-infos.org, décembre 2019.