Le faux dilemme du « libre-échange » et du « protectionnisme ». L’absurdité de la mesure internationale du chômage illustrée par les derniers chiffres français. Le soutien de l’État au secteur touristique. Voilà le programme de la note n°7 du Groupe de Travail Économie de l’UCL !
La crise économique qui frappe le monde entier a ravivé les débats interminables entre partisans du protectionnisme (qu’il soit « intelligent », « solidaire », ou « européen ») et défenseurs du libre-échange. Que penser de ces débats ? La gauche « radicale », communiste ou social-démocrate se prononce volontiers en faveur d’une forme ou une autre de protectionnisme contre le mondialisme libéral. On serait donc tentés de penser que le protectionnisme est la solution favorable aux intérêts populaires quand le libre-échange sert les intérêts bourgeois. Mais est-ce si simple ?
En réalité, ces deux types de politiques commerciales sont alternées fréquemment par les États bourgeois depuis les débuts du capitalisme, et même auparavant. Le « mercantilisme », grosso modo l’ancienne forme du protectionnisme, est mis en place dès le règne de Louis XIV par Colbert afin de soutenir les exportations et d’accroître la richesse nationale. On ne peut pourtant pas dire que Colbert fut un socialiste… Mais il est aussi vrai que le XIXe siècle a été marqué par une ouverture généralisée des frontières commerciales, de même que la fin du XXe siècle, après des décennies de protectionnisme. Ce protectionnisme est d’ailleurs appliqué de manière hétérogène selon les secteurs : la Politique Agricole Commune (PAC) applique un fort protectionnisme européen pour le domaine agricole, contrairement à la plupart des autres secteurs soumis aux fluctuations du commerce international.
Quels intérêts ces politiques servent-elles ? A y regarder près, elles défendent essentiellement une fraction à chaque fois différente des intérêts bourgeois : le libre-échange soutient le grand capital industrialo-financier, largement déraciné. Mais le protectionnisme porte les intérêts de la bourgeoisie industrielle nationale la moins intégrée à la mondialisation. Quand il s’applique à la production agricole, il défend aussi les intérêts des grands propriétaires terriens.
Pour l’autonomie productive
On pourrait penser que se rallier à la bourgeoisie la moins dominante, celle qui n’est peu ou pas intégrée au grand commerce mondial, est plus conforme aux intérêts du peuple. Après tout, ne sommes-nous pas dans le même bateau ? Mais le recentrage sur une bourgeoisie nationale plus liée aux intérêts étatiques ne nous fera passer que d’un bout à l’autre du même bourbier. Nous, travailleurs et travailleuses, serions exposé.es à la guerre économique permanente que se livrent les États capitalistes. Le protectionnisme pourrait certes permettre quelques relocalisations et réduire légèrement la pression de la concurrence internationale à court-terme, mais il est aussi l’instrument de politiques exportatrices agressives menées contre les autres pays et de probables surenchères impérialistes comme celle qui se déroule en ce moment entre les États-Unis et la Chine. De sorte qu’un protectionnisme mené en France pourrait très rapidement se retourner contre nous. Enfin, les multinationales n’exploitent pas nécessairement davantage leurs salariés, à échelle d’un pays, que les entreprises locales…
Il nous faut lutter contre la totalité des politiques qui mettent en concurrence chaque peuple travailleur avec les autres. Protectionnistes ou libre-échangistes, elles ne sont jamais que deux faces de la médaille en toc de la classe dominante. Toutes ces politiques nourrissent les rivalités impériales et le nationalisme, faisant planer au-dessus de nous la menace permanente de la guerre. Nous n’avons pas à prendre parti pour une fraction ou une autre de nos exploiteurs. Le bien de notre peuple ne peut pas et ne doit pas se réaliser au détriment de celui des autres. Si nous voulons réellement le défendre, alors il nous faut organiser la solidarité. Il faut produire à échelle locale tout ce qui peut l’être raisonnablement, dans une perspective socio-économique et écologique. Mais en parallèle, il faut coopérer systématiquement avec les autres peuples pour produire à grande échelle les biens qui ne peuvent l’être localement, et organiser des échanges utiles et apaisés. Ce projet porte un nom : l’autonomie productive. Défendons là pour défendre notre classe et refusons les faux dilemmes des parasites qui nous gouvernent.
Pour aller plus loin :
- « Contre le libre-échange, l’autonomie productive », congrès 2012 d’Alternative libertaire.
Les chiffres troublants du chômage
La publication des chiffres du chômage pour le premier trimestre en France, qui montre une baisse du nombre des demandeur.se.s d’emplois de catégorie A, a beaucoup fait réagir tant elle ne semble pas représentative de la période actuelle. Nous savons en effet que le mois de mars a été marqué par une augmentation historique du chômage. La crise sanitaire et économique a mis fin aux missions d’intérim et vu la conjoncture, les CDD n’ont clairement pas été renouvelés. Au niveau des embauches, il y a un ralentissement de 29% des personnes quittant les fichiers de demandeurs d’empois de pôle emploi. Les déclarations d’embauche ont quant à elles diminué de 22.6%. [1]
D’ici fin juin, l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques) s’attend à ce que la France comptabilise 600.000 chômeur.se.s en plus. Ces chiffres sont fondés sur la définition internationale qui qualifie de chômeur.se.s toute personne qui n’a pas travaillé au cours des semaines précédentes, qui est en recherche active d’emploi et qui est disponible pour prendre un nouveau travail dans les deux semaines à venir. La définition la plus répandue du chômage est donc réductrice. Dans la période actuelle, de nombreuses personnes ne sont tout simplement par en mesure de chercher activement du travail et ne sont donc pas considérées comme étant au chômage. [2] L’indicateur international du chômage est déjà hautement problématique en temps normal, parce qu’il conduit à sous-estimer la part du travail à temps partiel contraint et de la précarité en général. Mais il devient, dans la présente crise, purement et simplement absurde.
Ces chiffres impressionnants sont néanmoins faibles au regard de ce que l’on peut voir aux États-Unis, où on dénombre 3 millions de privé.e.s d’emplois en plus chaque semaine. En France, le dispositif de chômage partiel agit comme tampon. Mais depuis quelques semaines, le gouvernement pousse pour faire baisser le nombre de personnes en chômage partiel. Le nombre de salarié.es au chômage partiel est passé de 12,4 millions la semaine dernière à 11 millions de salariés aujourd’hui. [3] La crise est pourtant loin d’être derrière nous. On ne sait quand et sous quelles conditions les secteurs les plus touchés comme l’hôtellerie ou encore la restauration vont pouvoir se relancer. La décision gouvernementale d’autoriser les français.ses à partir en vacances cet été est bien une décision visant à limiter la crise économique et non une décision logique d’un point de vue sanitaire. Selon Eric Heyer, économiste à l’OFCE : « On sera à un taux de chômage de l’ordre de 10 % en juin et peut-être au-delà de 12 % à la fin de l’année ». Rien de très rassurant…
Contre la crise économique, quelles politiques se profilent ?
Partout, les contours de la crise économique se précisent. Tous les pays, à mesure de leurs capacités, adoptent des régimes de soutien à leurs économies nationales. Souvent, ces plans s’accompagnent d’une volonté affichée du retour à une forme de « relocalisation », qui pourrait déboucher à terme sur des politiques protectionnistes en chaîne. Les États s’endettent, et à plus ou moins court terme, tout laisse présager que de nouvelles mesures d’austérité vont s’abattre sur les populations. L’Union Européenne serait en passe de trouver un accord commun sur un plan de relance. Cette tentative est appuyée par le duo gouvernemental franco-allemand, qui propose de le faire monter à 500 milliards d’euros. [4] Une somme pour le moins élevée au regard du budget de l’union (1 % du PIB européen) mais aussi très faible du point de vue de la richesse totale de l’UE et des plans de relance annoncés séparément par chaque État. [5] Ce plan serait financé par un emprunt effectué directement par l’UE sur les marchés financiers, et le remboursement serait assurée par l’UE elle-même et non par les États membres. Le renversement de la position allemande, jusque là hostile à toute mutualisation des dettes au niveau européen, est emblématique du risque d’implosion de l’UE si elle est incapable de trouver un terrain d’entente entre ses différentes composantes. Elle constitue une réaction au jugement anti-Banque Centrale Européenne émis récemment par la cour de Karlsrhue. [6] Plusieurs pays d’Europe du Nord se sont déjà explicitement opposés à cette proposition, dont il est difficile de croire qu’elle aboutira en l’état. [7]
En France, c’est autour du tourisme que les annonces se sont densifiées cette semaine. Ce secteur, qui représente 7 % du PIB et 2 millions d’emplois est en effet à l’arrêt quasi-complet depuis deux mois. L’inquiétude grandit chez les professionnels quant à la crainte d’une prolongation du confinement cet été, ce qui signerait tout simplement l’écroulement de milliers d’entreprises parmi les 62000 que compte le secteur, et dont bon nombre sont déjà condamnées. Le gouvernement a déclaré ce secteur « priorité nationale » et lui consacre un plan de 18 milliards d’Euros… sans contrepartie sociale pour le patronat, alors que le tourisme, dont les effets environnement néfastes sont avérés, repose en grande partie sur une main d’œuvre saisonnière souvent sur-exploitée et sous-payée. La question de l’emploi est d’ailleurs dans les préoccupations principales en cas de réouverture, le patronat s’inquiétant de la possibilité de mouvements sociaux. L’idée d’une plate-forme gouvernementale de volontaires fait son chemin… en dépit de l’échec flagrant de celle mise en place pour l’agriculture ! Après son opération ratée, l’État français tend à s’aligner sur ses voisins européens, en facilitant l’arrivée d’une main d’œuvre immigrée à bas coût venant d’Europe de l’Est. [8]
En parallèle, Le recours abusif aux CDD et Intérims va être facilité par la signature de conventions dérogatoires au niveau des entreprises. Quant aux CSE, ils pourront puiser jusqu’à 50% de leur budget de fonctionnement pour financer des activités sociales : autant de moyen retirés pour leur action de défense des salariés.
Groupe de Travail Économie de l’UCL le 23 mais 2020
Cette note a été réalisée par le Groupe de Travail Économie de l’UCL, visant à synthétiser les données essentielles sur la situation économique que nous traversons avec la crise du coronavirus. Elle a évolué sous une forme de bulletin, structuré en plusieurs articles de tailles diverses. Elle est aussi sourcée et factuelle que possible, et vise à mettre en lien les principales données sur la conjoncture économique avec des analyses politiques et sociales plus générales. Elle a néanmoins été réalisée par des militants qui ne sont pas des professionnels de l’économie. N’hésitez pas à faire tout retour constructif.