Les conditions de vie des enfants ont considérablement été impactées par le confinement, sans qu’ils et elles aient la possibilité de témoigner de leurs impressions, de leurs ressentis, et souvent sans pouvoir communiquer avec d’autres personnes de leur âge sur leur vécu. Hors des radars des détections de violence, relégué·es au second plan des aides allouées par l’État, soumis·es encore plus que d’habitude à l’autorité adulte les enfants sont isolé·es et peu pris·es en compte dans cette crise sanitaire. Pourtant, les conséquences du confinement sur les enfants sont bien réelles.
Avec le confinement, les enfants demeurent en famille de façon permanente et sont sources de frustrations pour les parents, ce qui crée un climat de tension élevé. On peut le mesurer à travers les moqueries et les blagues les plus crues sur la torture des enfants, les discours plus violents à leur encontre qu’à l’habitude dans les discussions entre collègues ou sur les réseaux sociaux. Ces tensions se traduisent par une augmentation des violences sur les enfants qui deviennent les victimes du confinement.
Les difficultés provoquées par les enfants sont en lien direct avec leurs besoins spécifiques qui ne peuvent pas être respectés, notamment en termes d’accès à l’extérieur ou d’activité physique. La taille des logements, le nombre d’habitant·es, l’accès à un jardin ou une cour, ou si un contrôle policier systématique et violent leur interdit l’accès à l’extérieur, influencent beaucoup le vécu du confinement. Les diverses situations sont révélatrices des inégalités économiques et racistes.
Il faut également souligner que la perte de relations avec les pairs, surtout pour les plus jeunes enfants, peut-être très pesante pour beaucoup d’enfants coupé·es de leur vie sociale.
La continuité pédagogique n’est pas pédagogique pour tout le monde
En décidant d’instaurer la « continuité pédagogique », Jean-Michel Blanquer s’est appuyé principalement sur les ressources numériques, demandant une adaptation au pied levé des enseignant·es, des parents et des élèves. Ces derniers et dernières n’ont pas toujours accès à la parole et n’ont pas d’interlocuteur·trice à qui faire part de leurs éventuelles difficultés. Or, le confinement et la pseudo continuité pédagogique font ressortir les inégalités de classe entre les enfants. La fracture numérique est bien réelle et met certain·es enfants dans l’impossibilité d’avoir accès aux cours, faute d’un accès internet. Le transfert de la supervision des enseignant·es aux parents est également un facteur d’exclusion et d’inégalités, car les parents continuent à travailler à l’extérieur ou en télétravail, et nombre d’entre eux ne maîtrisent pas suffisamment la langue française. Les taux de décrochage scolaire sont ainsi alarmants, et plusieurs enseignant·es témoignent de chiffres largement supérieurs à ceux annoncés par le gouvernement.
L’école à la maison est aussi un facteur de stress supplémentaire pour les parents, augmentant les risques de violences envers les enfants. À cela s’ajoute que pour de nombreuses filles, il est exigé qu’elles participent au travail domestique comme la préparation de la nourriture, le ménage et l’éducation des petits frères et sœurs, ce qui accroît encore les inégalités de genre.
Une augmentation des violences
Les violences intrafamiliales sont en très nette augmentation depuis le début du confinement. Cela concerne bien évidemment les violences conjugales envers les femmes, mais aussi les violences envers les enfants, les deux étant d’ailleurs fortement corrélées.
Enfermé·es avec leurs familles, les enfants n’ont plus aucune stratégie d’évitement possible face aux violences, qu’elles soient physiques, psychologiques ou sexuelles. Les professionnel·les de l’Éducation nationale et des structures de la petite enfance qui sont, en temps normal, les premières informatrices et informateurs des services de protection, mais aussi les entraîneurs et entraîneuses sportives, les personnels d’activités extra-scolaires, n’ont plus aucune visibilité sur les enfants, qui sont donc privé·es de toute observation et aide extérieure. Dans les faits, les appels au 119, « Allô enfance en danger », ont augmenté continuellement chaque semaine depuis le début du confinement, alarmant l’Unicef et NousToutes, qui ont lancé la campagne #EntendonsLeursCris sur les violences intrafamiliales. En troisième semaine du confinement ces appels ont grimpé à +53 % par rapport à la première semaine. En attendant le décompte possible de l’ensemble des victimes, le nombre d’appels urgents au 119, dont ceux nécessitant l’intervention immédiate de la police, a explosé de +60 % par rapport à la même période en 2019.
Les filles et les enfants LGBTI sont singulièrement touché-es par ces violences intrafamiliales [1] , aucune mesure n’a été prise à leur égard dans la période alors que les associations féministes et communautaires voient leur activité réduite de par le confinement.
Des violences faites aux enfants nécessairement sous-estimées
Un dispositif de signalement de ces violences sur internet a également été mis en place, pour répondre aux besoins des enfants n’ayant pas la possibilité de s’isoler avec un accès téléphonique. Évidemment, nombre de filles et garçons qui subissent ces violences n’ont pas accès à internet, et les professionnel·les de protection de l’enfance craignent le décompte qui devra être fait à la sortie du confinement. Aujourd’hui, on estime que 52 000 enfants sont victimes de violences physiques, sexuelles et psychologiques quotidiennement en France. Enfermé·es avec leurs bourreaux, invisibles derrière les murs, plusieurs enfants sont déjà mort·es depuis le début du confinement. D’autres ont été mis·es à la rue par leurs parents. Ces violences sont inacceptables et nous dénonçons à la fois la domination patriarcale et adulte qui les rend possibles et le manque de moyens pour les signaler et les prendre en charge.
Protection de l’enfance et confinement, l’équation impossible
Beaucoup d’associations ont fermé pendant le confinement, rendant les parcours d’aide à l’enfance parfois très compliqués à mettre en place. Les professionnel·les de la protection de l’enfance n’ont même pas été considéré·es comme prioritaires pour la distribution des masques et des solutions hydroalcooliques, leur demandant d’intervenir parfois au mépris de leur propre santé. Sur les 350 000 enfants concerné·e·s aujourd’hui par les services de protection de l’enfance, plus de 80 000 sont aujourd’hui placé·es en foyer ou en logements autonomes. Les difficultés propres au confinement y sont encore exacerbées, et le sous-effectif ainsi que le manque de moyens financiers déjà criant en temps normal, rendent la situation explosive pour les enfants comme pour leurs éducateur-ices [2].
Nous pensons important de considérer les enfants comme des sujets à part entière ayant des besoins propres. Outre la nécessité, comme tout à chacun·e, de dormir, boire, manger, etc., les enfants ont aussi besoin de communiquer, d’apprendre, d’explorer, de bénéficier d’un cadre sécurisant et affectivement, d’être apprécié·es et respecté·es. L’impact de ce confinement sur les enfants n’est pas anodin tant leurs droits et leurs besoins élémentaires sont bafoués. Cette situation doit nous permettre de renforcer notre attention et notre écoute, et non de faire des enfants les bouc-émissaires d’une situation que personne n’a choisi.