L’état d’urgence sanitaire et l’arsenal législatif qui l’accompagne est le seul moyen, aux yeux du gouvernement, de prévenir une catastrophe sanitaire en prenant les choses fermement en main. De notre côté, c’est un état d’urgence social que nous devons défendre pour définir nous-mêmes les priorités : protéger la santé et les droits des travailleurs et travailleuses mais aussi assurer la satisfaction des besoins de l’ensemble de la population, sans chercher à sauvegarder les profits des capitalistes.
Le gouvernement a déposé un projet encadrant le report du 2e tour des élections municipales, lui permettant de déclarer un « état d’urgence sanitaire » et lui ouvrant la possibilité de légiférer par ordonnances sur de nombreux sujets. Les enjeux de ce projet de loi ? Renforcer les pouvoirs de l’État pour prévenir une catastrophe sanitaire, « soulager » les entreprises et adapter le fonctionnement de la société aux mesures de confinement.
Le projet de loi d’ores et déjà adopté au Sénat se découpe en trois grosses parties :
- la première partie concerne les élections municipales ;
- la deuxième partie définit le cadre de l’état d’urgence sanitaire ;
- la troisième partie arme le gouvernement pour adapter le cadre légal et réglementaire à la situation exceptionnelle.
Ne pas laisser l’État gérer seul l’urgence sanitaire et social
L’état d’urgence sanitaire pourra être déclaré en conseil des ministres pour une durée de 12 jours – durée qui peut être prolongée par la loi. Dans ce cadre, le Premier ministre pourra limiter certaines libertés fondamentales (liberté de déplacement, liberté d’entreprendre, liberté de réunion) et pourra décider des réquisitions de tous les biens et les services permettant de lutter contre la catastrophe sanitaire. Le ministre de la santé pourra quant à lui prescrire toutes les mesures générales ou individuelles pour lutter contre la catastrophe sanitaire.
Le problème qui se pose est clair : si l’épidémie continue de paralyser l’économie, l’ensemble des activités de production et de distribution risquent d’être interrompu, mettant en danger l’ensemble de la population. Dans une situation comme celle-ci, il n’y a que trois possibilités : soit l’État prend fermement en main les rênes de l’économie (discréditant au passage le libéralisme économique qui guide l’action des gouvernements successifs), soit le camp des travailleurs et travailleuses arrive à prendre lui-même les choses en main, soit c’est le chaos.
Pour le gouvernement, l’enjeu est donc de pouvoir, si nécessaire, prendre totalement la main sur les activités économiques essentielles non seulement pour assurer la lutte sanitaire contre l’épidémie mais aussi pour permettre que les besoins vitaux soient satisfaits. Laisser l’État gérer seul cette crise sanitaire, économique et sociale, est un pari très risqué et il semble dès maintenant absolument indispensable que la nécessaire réquisition des entreprises d’intérêt vital se fasse sous le contrôle des travailleuses et des travailleurs, de même qu’il est primordial que les personnels soignants confronté·es directement à l’épidémie puissent prescrire les mesures adaptées, sans chercher à ménager les intérêts des possédants.
Des ordonnances dans tous les sens mais peu de social
La troisième partie de la loi autorise le gouvernement à prendre des ordonnances, c’est-à-dire à modifier la loi sans consulter en amont l’Assemblée nationale ou le Sénat. Il sera ainsi autorisé à soutenir directement ou indirectement (en facilitant le recours à l’activité partielle) les entreprises, à permettre à l’employeur de fixer comme il le veut les congés payés et les RTT, à assouplir les obligations des entreprises vis-à-vis de leurs clients et fournisseurs mais aussi à permettre à certaines entreprises de déroger aux règles d’ordre public et aux règles fixant la durée du travail, le repos hebdomadaire ou le repos dominical.
Dans le même temps, des mesures pourront être prises pour adapter aux circonstances l’intervention de la médecine du travail ou la consultation des représentant·es du personnel mais il va sans dire que les organisations syndicales devront être particulièrement vigilantes pour éviter que la situation d’urgence permette opportunément aux patrons de faire travailler leurs salariés sans limite ou de licencier massivement au gré de la modification du droit des procédures collectives.
Dans le cadre de cette urgence sanitaire, le gouvernement prévoit quand même quelques mesures sociales comme la prolongation de la trêve hivernale, la continuité de la prise en charge des personnes âgées et des personnes en situation de handicap ou la prolongation des visas et des titres de séjour. Mais ces mesures paraissent bien maigres par rapport à tout ce qui pourrait être mis en œuvre pour protéger l’ensemble de la population et soutenir directement les plus vulnérables.
Enfin, si le confinement doit se prolonger, quelques aménagements sont prévus pour allonger les délais pour les différentes démarches administratives, pour adapter les concours ou examens,pour aménager l’organisation de certaines réunions (organes dirigeants des entreprises, instances des établissements publics, réunions de copropriétaires, assemblées délibérantes des collectivités territoriales) mais aussi pour adapter la manière dont est rendue la justice et dont est organisée la garde à vue. Là encore, il faudra redoubler de vigilance face à une justice rendue à huis clos avec une défense assurée en vidéoconférence…
Beaucoup de mesures administratives, beaucoup de mesures de soutien aux entreprises mais pas beaucoup de mesures pour soutenir celles et ceux qui luttent directement contre l’épidémie, au premier rang desquels les personnels soignants qui, en cas d’arrêt maladie, continuent de subir un jour de carence ; pas beaucoup de mesures non plus pour permettre d’anticiper la crise sociale et d’offrir aux travailleurs et travailleuses la même souplesse qu’aux entreprises.
Une chose est claire : l’urgence sociale, c’est nous qui l’imposerons aux patrons et à l’État.