Depuis que l’épidémie de coronavirus a atteint la France, le gouvernement n’a cessé d’osciller entre des mesures d’endiguement – qui sont allées crescendo – et la volonté de préserver les profits des entreprises, en autorisant la continuité du travail dans des secteurs non essentiels.
L’Union communiste libertaire, réunie en conférence exceptionnelle le 17 mars, pense qu’il faut inverser les priorités. La pandémie oblige à des mesures qui doivent nécessairement contrarier les capitalistes. Et qui prouveront que la société et l’économie peuvent tourner de façon radicalement différente.
Pour enrayer l’épidémie
1. Il faut des mesures barrières qui ne soient pas des mesures « de classe », contrairement à ce qui se passe aujourd’hui. Le confinement ne peut être fonction de la hiérarchie sociale, avec des cadres en télétravail et des ouvrières et ouvriers contraints de se rendre sur les sites de production. Le confinement ne peut être fonction de la hiérarchie sociale. Donc : fermeture de toutes les entreprises et services non essentiels, avec maintien intégral du revenu pour les travailleuses et travailleurs en chômage technique, y compris ceux et celles sous statut précaire (intérimaires, CDD, vacataires, etc.) ;
2. Le travail ne doit être maintenu que dans les secteurs vitaux au soin, au ravitaillement et à l’information de la population. On pense notamment au système de santé, à l’agro-alimentaire, aux transports, à la distribution alimentaire et sanitaire, aux médias audiovisuels et Internet pour passer les consignes. Les travailleuses et travailleurs de ces secteurs sont en première ligne ; la sauvegarde de la population repose sur leurs épaules. Il faut les gratifier, les aider, les épauler, en commençant par assurer la prise en charge de leurs enfants, avec des mesures de prévention et de protection.
3. À la fois pour des raisons d’efficacité et pour empêcher les indécents « coronaprofits » des profiteurs de crise, il faut réquisitionner les entreprises privées de ces secteurs, et les intégrer dans le service public, en plaçant leur fonctionnement sous le contrôle des travailleuses et travailleurs eux-mêmes. Ce sont eux et elles, en effet, qui sont les plus à même de savoir comment réorganiser les chaînes de production pour se prémunir du virus, avec des protocoles de prévention adaptés.
4. Au-delà, ce sont l’ensemble de la production et des services qui doivent être en urgence réorganisés. L’industrie et les services doivent être entièrement tournés vers la production de matériel sanitaire et de protection, et l’assurance des moyens de subsistance pour toutes et tous. Si l’État et les patrons ne le veulent pas, alors c’est aux travailleuses et aux travailleurs de l’imposer.
Pour éviter la réédition d’un tel chaos
1. La situation actuelle démontre la nécessité de réquisitionner et de socialiser l’ensemble de l’industrie pharmaceutique. Cela permettra de relocaliser la production de médicaments, alors que la France est aujourd’hui dépendante des usines implantées en Inde et en Chine pour 60 à 80% des principes actifs. Cela permettra aussi de réorienter la recherche et développement vers la satisfaction des besoins réels, au lieu d’une production visant au profit et qui ruine la Sécurité sociale.
2. Le système de santé doit également être révolutionné par la réquisition des cliniques privées et leur intégration dans le service public. Un service public renforcé par des embauches massives et la création de milliers de lits supplémentaires, avec un maillage territorial revitalisé. Depuis des mois, les personnels des urgences crient leur désespoir devant le délabrement de l’hôpital public après des décennies de démolition néolibérale. Les politiciens socialistes, gaullistes ou macronistes qui ont orchestré ce désastre auront du sang sur les mains, et il faut le dire haut et fort.
3. La grande distribution qui, de Carrefour à Amazon, se frotte les mains de la situation actuelle et des profits géants qu’elle escompte engranger, doit également être réquisitionnée et placée sous contrôle de ses travailleuses et travailleurs. Cela leur permettra de se limiter à la distribution des produits vitaux, et de remettre à plat toute l’organisation d’un travail de plus en plus déshumanisé par la conjugaison du taylorisme et du contrôle digital.
Ce que les travailleuses et travailleurs peuvent faire
1. Le mot d’ordre de « droit de retrait général » est le plus adapté à la période dans tous les secteurs non essentiels. Aujourd’hui, dans plusieurs grandes entreprises, des débrayages ont lieu pour se prémunir de la contagion. Mais des salarié·es hésitent encore devant les retenues sur salaire pour fait de grève. Il faut user, dès que possible du droit de retrait pour « danger grave et imminent ».
2. Nous devons pratiquer l’entraide sociale, à l’échelon de chaque immeuble et de chaque quartier : pensons à nos voisines et voisins les plus fragiles, personnages âgées, à mobilité réduite, malades… qui ont du mal à se déplacer pour faire leurs courses. Pensons à nos voisines et voisins qui travaillent dans des secteurs essentiels, et qui ont besoin de faire garder leurs enfants… le tout en respectant les « gestes barrières ». Téléphone, Internet, applications, messages collés dans le hall de l’immeuble… il y a bien des choses à faire pour organiser cette entraide de proximité.
3. Gardons-nous des méfiances xénophobes. Non, nos voisines et voisins d’origine asiatique ne sont pas dangereux, et d’ailleurs personne n’est spécifiquement dangereux. C’est l’Europe, et non la Chine, qui est aujourd’hui l’épicentre mondial de la pandémie.
Pour limiter la casse sociale
La pandémie aura été le déclencheur d’un krach boursier et d’une crise financière attendue depuis longtemps par toutes et tous les économistes sérieux. Suite à la crise de 2008, les États avaient en effet pompé des sommes colossales dans les fonds publics pour sauver les traders et les banques privées… qui par la suite n’ont quasiment rien changé de leurs pratiques. Une fois de plus donc, l’économie-casino va craquer, et ce sera dans des proportions sans doute bien pires qu’en 2008.
Avec son cortège de licenciements et de sous-emploi, cette crise frappera en premier lieu les classes populaires qui vont affronter une hausse du chômage, des temps partiels, des boulots précaires… avec une baisse de revenu à la clef.
Pour limiter la casse, il faut d’une part renforcer la protection sociale, pour amortir le choc, d’autre part faire payer le capital. Cela passe par :
- l’abrogation de la réforme de l’assurance chômage et pas seulement sa suspension ;
- l’abrogation de la casse des retraites, pas seulement sa suspension ;
- l’allongement du délai pour pratiquer une IVG d’une durée égale à celle du confinement, pour désengorger les hôpitaux et anticiper les conséquences prévisibles du confinement ;
- la gratuité des transports pour réduire les démarches, les attroupements et les vecteurs de contamination ;
- l’interdiction des licenciements pendant la période de confinement, le maintien du salaire des personnels vacataires, intérimaires, en CDD et des salariés déguisés (auto-entrepreneurs ubérisés notamment). Le capital paiera : en 2019 encore, 60 milliards d’euros ont disparu dans les poches des actionnaires du CAC 40 (+ 12 % par rapport à l’année précédente) ;
- la réquisition des logements vacants, des locations Airbnb et similaires, des chambres d’hôtels, pour mettre à l’abri, dans les conditions de confinement sanitaire dignes, les familles sans logis, les migrantes et les migrants qui survivent dans des campements sauvages ou sont enfermés dans des centres de rétention, les ouvrières et ouvriers sans papiers qui sont parfois entassé·es dans des foyers ou des squats insalubres.
- pour les bas revenus, un moratoire sur les loyers et les factures d’énergie, d’eau, de téléphone et d’Internet, l’interdiction des expulsions locatives au-delà du 28 mai.
Le gouvernement est pris de cours par la situation. On peut donc lui imposer des choses, mais seulement si le mouvement social et syndical se retrousse les manches et essaie de prendre les choses à bras le corps. Il est donc crucial que toutes et tous les travailleurs conscients et déterminés s’emparent de l’outil syndical pour regrouper leurs collègues sur des bases solidaires et combatives.
La société doit changer en profondeur
Soyons clairs : ces mesures d’urgence sont parcellaires. Elles répondent à la nécessité d’enrayer l’épidémie et de limiter la casse sociale. Mais elles n’empêcheront pas la crise économique d’advenir, parce que celle-ci est le résultat du capitalisme et de l’économie de marché. Le virus n’en aura été que l’élément déclencheur.
Face à cette situation inédite, le capitalisme a fait la preuve de sa défaillance mais l’État va chercher à maintenir par tous les moyens le système économique en place, quitte à prendre la main temporairement sur l’ensemble des activités économiques, en procédant de manière dirigiste à l’organisation de la production via des réquisitions.
Pour le gouvernement, ce sera la seule alternative au chaos auquel mènerait le chacun-pour-soi.
Pour nous, communistes libertaires, les mesures d’urgence que nous proposons comme les responsabilités qu’imposeront, prendront et exerceront dès aujourd’hui les travailleuses et les travailleurs dessinent une toute autre alternative. Nous avons un autre projet à défendre : un projet reposant sur l’entraide et l’égalité, avec une organisation stricte et planifiée de la production et de la distribution des biens essentiels mais sous contrôle des travailleuses et des travailleurs.
Nous pensons qu’il est grand temps de repenser de fond en comble le fonctionnement de la société, de l’adapter aux capacités de chacun·e pour répondre aux besoins de tout le monde.
Nous pouvons en finir avec ce système, en plaçant l’ensemble des moyens de production et de distribution entre les mains des travailleuses et des travailleurs, en remplaçant l’économie de marché par une économie socialisée et autogérée, et l’État par un système fédéraliste autogestionnaire.
Texte issu des débats de la conférence exceptionnelle de l’UCL du 17 mars 2020