Depuis le début du confinement en Europe, la question d’une éventuelle surcharge du trafic internet se pose. Ci-dessous, notre point de vue communiste libertaire sur la question du réseau.
Côté services, la saturation se fait sentir. Par exemple, chez Skype et Whatsapp, les serveurs centraux ne tiennent apparemment pas la charge depuis le confinement italien. Charge qui aurait été encaissée avant l’achat de Skype par Microsoft : le logiciel fonctionnait alors en pair-à-pair (c’est-à-dire sans serveurs centraux).
Le patron de Facebook Mark Zuckerberg a indiqué quant à lui lors d’une conférence de presse le 18 mars que les appels audio et vidéo, sur Whatsapp (propriété de Facebook) notamment, auraient doublé et que les ingénieurs de Facebook travailleraient déjà à renforcer l’infrastructure [1].
À une autre échelle et idéologiquement plus proche de nous, l’association libriste d’éducation populaire Framasoft a bel et bien subi une surcharge au début du confinement, lorsque les ministères de l’Éducation Nationale et de l’Enseignement Supérieur ont — honteusement, sans consultation, et sans solliciter leurs propres services informatiques et ressources financières considérables — invité leurs personnels à utiliser les services de Framasoft (qui n’a ni les moyens de ni la vocation à se substituer à des ministères) [2].
Quant au trafic global, des informations contradictoires circulent : d’un côté, la hausse de 70% qu’a vécue l’Italie suite à la fermeture des écoles serait épongeable [3] ; d’un autre côté, le 19 mars, le commissaire européen chargé du marché intérieur Thierry Breton s’est publiquement inquiété de la pression exercée sur le trafic [4]. Des sources internes chez Orange nous informent également que le conseil d’administration d’Orange douterait de la capacité du réseau à encaisser et qu’il faudrait prochainement choisir entre la 4G et la téléphonie.
S’il nous parait difficile de trancher dès à présent la question de la possibilité d’une surcharge du trafic de grande ampleur à court terme, il est cependant politiquement indispensable d’en anticiper la possibilité.
Des appels à « réguler » le trafic se font déjà entendre. Les hôpitaux ou l’Éducation Nationale sont prioritaires sur la pornographie ou le streaming Netflix et il faudrait donc favoriser les uns au détriment des autres. Cette régulation serait de la responsabilité des fournisseurs d’accès à Internet (FAI), seuls techniquement capables de savoir qui fait quoi sur Internet et d’agir en temps réel, et donc de censurer. Thierry Breton a notamment invité les FAI à « prendre des mesures afin de prévenir et d’atténuer les effets de l’encombrement imminent des réseaux ».
Nous ne remettons bien évidemment pas en cause la priorité des services publics hospitaliers ou éducatifs. Nous observons par contre que ces appels émanent des bouches qui, même hors temps de crise, réclament encore et toujours l’abolition de la neutralité du net, ce principe qui veut que les FAI ne soient que des facteurs de l’Internet, soumis comme les postiers et postières du monde physique à une interdiction d’ouvrir les enveloppes, et qui livrent donc indifféremment tout le « courrier ».
La fin de la neutralité du net serait une aubaine pour les capitalistes, qui seraient dès lors en mesure de vendre comme offre de base un simple accès aux services de leur choix – typiquement, les partenaires GAFAM – et de reléguer le reste d’Internet – typiquement, les voix politiques ou médiatiques qui déplaisent au pouvoir – au rang d’options payantes. Nous observons également que la logique de pénurie-rationnement à l’œuvre derrière ces discours est la même que celle que nos dirigeants politiques nous resservent non-stop, jusqu’à l’écœurement, depuis des années, dans le cadre des politiques d’austérité budgétaire.
Que l’on parle de réseau Internet ou d’argent public, nous, communistes libertaires, affirmons que les ressources existantes doivent être :
- exposées à toutes et tous avec transparence et pédagogie, afin de permettre l’appropriation populaire des enjeux du problème ;
- renforcées et développées, et non rationnées, si elles sont réellement jugées insuffisantes (l’argent existe, il suffit d’aller le chercher là où il est) ;
- partagées selon des décisions politiques prises par le peuple et dans son intérêt, et non par l’État dans l’intérêt des capitalistes.
Il appartient également au peuple de décider, dans un cadre autogestionnaire, comment mettre en œuvre ce partage sans remettre en cause la neutralité du net, principe égalitaire fondateur d’Internet. Dans le contexte actuel, il est par exemple envisageable :
- de mettre en place un planning national des cours donnés par visioconférence, dans le cadre de la « continuité pédagogique », permettant de mieux répartir la charge et du même coup d’améliorer les conditions de vie des enseignant·es confinés, sans jamais les déposséder de leur métier et sans entretenir d’illusions sur les vertus pédagogiques du numérique ;
- de contraindre YouTube à retirer l’option HD de ses vidéos ;
- ou encore d’instaurer une très forte taxe sur le service de reproduction culturelle du patriarcat qu’est la pornographie, taxe permettant de contrebalancer la gratuité opportuniste mise en place ces derniers jours par les principales plateformes du secteur.